Responsabilité pour vice de voirie

Responsabilité pour vice de voirie : la Cour de cassation impose une répartition équitable de la charge finale (Arrêt du 14 novembre 2025 – C.24.0232.F)
La responsabilité pour vice de voirie est une source fréquente de litiges entre la Région wallonne — gardienne d’une partie importante du réseau routier — et les communes, investies d’une obligation de sécurité au travers de l’article 135, §2 de la Nouvelle loi communale (NLC).
L’arrêt de la Cour de cassation du 14 novembre 2025 clarifie de manière décisive la manière dont doit se répartir la charge définitive du dommage lorsqu’un accident de la circulation résulte à la fois d’un vice de la voirie et d’un danger anormal que la commune n’a pas suffisamment traité.
Cet arrêt marque une étape importante dans la jurisprudence belge, notamment en ce qu’il rappelle que la commune n’a pas un rôle subsidiaire lorsque sa faute contribue à la réalisation du dommage. Le juge doit impérieusement déterminer la part contributive réelle de chaque autorité. Le tout repose sur une idée simple : on ne peut exonérer totalement un co-responsable dès lors que sa faute est reconnue et qu’un lien de causalité existe.
1. L’affaire : un accident causé par un défaut d’évacuation des eaux
L’accident survient en mai 2014 sur la RN52, à Antoing. Le conducteur d’un véhicule perd le contrôle en raison d’une accumulation d’eau importante sur la chaussée, provoquant un aquaplaning.
Les constatations sont unanimes :
- la route est détrempée, plusieurs flaques la jonchent ;
- l’absence d’un dispositif de drainage adéquat est pointée par l’expert ;
- aucun élément technique ne contredit le vice de la voirie.
La juridiction d’appel retient deux responsabilités :
- La Région wallonne, en tant que gardienne de la voirie (art. 1384, al. 1er, ancien Code civil) : la chaussée est vicieuse.
- La commune d’Antoing, via son obligation de police administrative (art. 135, §2 NLC) : le danger anormal était tel qu’il trompait la confiance d’un usager prudent.
Pour la commune, l’obligation est claire : éviter tout danger anormal, notamment en cas d’intempéries prévisibles. La jurisprudence rappelle régulièrement que cette obligation n’est pas passive : l’autorité doit prendre les mesures nécessaires pour empêcher la réalisation du risque.
2. Le jugement d’appel : une responsabilité in solidum… mais une contribution injustement déséquilibrée
Le tribunal d’appel du Hainaut reconnaît une responsabilité in solidum entre Région et commune, ce qui est logique : plusieurs fautes ont concouru à la réalisation du dommage, chacune engageant la responsabilité des co-auteurs envers la victime.
Mais la suite pose problème.
Dans la contribution à la dette, la juridiction décide que la Région wallonne doit supporter seule l’intégralité du dommage, au motif que la responsabilité de la commune serait “subsidiaire”.
Concrètement :
➡️ la commune a été jugée fautive,
➡️ sa faute a causé le dommage,
➡️ mais elle ne doit rien payer.
Cette position rompt avec les principes qui régissent la contribution entre co-responsables, en particulier la subrogation légale et l’appréciation de la causalité.
3. La Cour de cassation : l’obligation de la commune n’est pas subsidiaire
La Cour casse fermement.
3.1. L’article 135, §2 NLC n’est pas une responsabilité de second rang
La Cour rappelle que l’obligation imposée à la commune n’est en rien subsidiaire. Le texte lui impose d’éviter les dangers anormaux pour les usagers. Cette obligation est autonome, pleine et non hiérarchiquement inférieure à celle du gardien de la voirie.
3.2. Le juge doit évaluer la causalité réelle entre les fautes
Même si deux autorités sont condamnées in solidum, il appartient au juge de déterminer comment le dommage doit être réparti en contribution, en fonction :
- du vice de la chose,
- du manquement à l’obligation de sécurité,
- de l’impact causal de chacune des fautes.
3.3. Une partie fautive ne peut être totalement déchargée
La Cour insiste sur un point essentiel :
➡️ Si le juge reconnaît une faute et un lien causal, il ne peut ensuite exonérer entièrement son auteur sans contradiction.
C’est précisément ce qu’avait fait le tribunal : reconnaître une faute de la commune dans les motifs… pour ensuite décider qu’elle ne devait rien supporter.
3.4. La subrogation légale permet le recours contributoire
La Cour rappelle également les règles de subrogation (ancien art. 1251, 3° et actuel art. 5.220 CC) :
- celui qui paie la dette commune est automatiquement subrogé dans les droits du créancier contre les autres responsables,
- il dispose donc d’un recours contributoire contre eux.
Empêcher ce recours revient à priver de tout effet la reconnaissance même de la faute communale.
4. Les enseignements pratiques de l’arrêt
4.1. Pour les communes
Impossible désormais d’invoquer un prétendu caractère “subsidiaire” de l’article 135 NLC. La commune doit assumer sa part si un danger anormal existait et n’a pas été traité.
4.2. Pour la Région et les gestionnaires de voirie
La responsabilité du gardien n’est plus le “paratonnerre” exclusif. Les recours contributoires deviennent systématiquement viables lorsque la commune a participé au dommage.
4.3. Pour les victimes
L’arrêt renforce la sécurité juridique :
- la victime peut agir contre l’un ou l’autre responsable,
- mais la répartition interne reste équitable et conforme à la causalité réelle.
4.4. Pour les praticiens et juristes
Cet arrêt consolide la jurisprudence sur :
- le danger anormal,
- le rôle actif des communes,
- l’articulation du vice de la chose et de la police de sécurité,
- la répartition des responsabilités entre autorités publiques.
5. Conclusion : retour à une cohérence fondamentale
L’arrêt du 14 novembre 2025 réaffirme un principe simple :
➡️ chaque autorité publique doit supporter la part du dommage qui résulte de sa propre faute ou de son manquement.
La commune ne peut échapper à sa contribution lorsqu’un danger anormal est établi, même si la Région est gardienne de la voirie. Cette décision clarifie définitivement les relations entre niveaux de pouvoir en matière de responsabilité pour vice de voirie, et offre un cadre plus équilibré pour les recours contributoires.
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